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La Social-Démocratie dans le 06,
2 mars 2007

Le scandale Airbus

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Et si l'affaire Airbus était d'abord une affaire morale ?

Regardons ce qui s'est passé du point de vue de ce que le grand public en a su.

Sur un marché énormément porteur, une entreprise franco-allemande au départ, plus largement européenne aujourd'hui, sans être pour autant communautaire, développe en trente ans un savoir-faire de premier ordre mondial.

Elle crée une gamme d'avions moyens ou gros porteurs, pour le long et moyen courrier, très apparentés entre eux, et dont la qualité la place à égalité de compétition avec Boeing, jusque-là monopoliste mondial écrasant.

L'entreprise s'appelle Airbus.

Elle est filiale d'un consortium international nommé EADS.

Son dernier produit, l'A380, est un coup d'audace technologique inouïe.

Le plus gros porteur jamais construit, deux ponts, cinq à six cents passagers, attire immédiatement les grandes compagnies de transport aérien. Un gros succès se prépare.

Puis on apprend que, faute d'un commandement commun englobant une usine allemande et une usine française du groupe, le câblage électrique des fuselages de cet avion a été préparé des deux côtés avec des codes informatiques non compatibles.

Pour mettre au point les prototypes et pour les futurs avions de série, il faut faire le câblage à la main, comme il y a vingt ou trente ans. Cela prend évidemment infiniment plus de temps.

Le résultat est terrifiant : de l'ordre de deux ans de retard.

Ce qui étale d'autant les rentrées d'argent dans la trésorerie et s'aggrave de considérables indemnités de retard pour les compagnies clientes. Un désastre financier.

Et ce sont, comme à peu près toujours, les salariés qui vont casquer. 10 000 emplois de moins sont prévus pour les quelques années qui viennent.

La crise est telle qu'il faut changer la direction.

Les partants s'en vont avec de considérables paquets d'indemnités.

On apprend même que certains, sachant tout cela avant tout le monde, ont très profitablement vendu leurs actions ou leurs stock-options.

Le nouveau patron, Louis Gallois, est mon ami.

Il n'a jamais quitté le service public et jamais gagné, comme certains de ses congénères, 350 à 400 fois le salaire moyen des gens qu'il commandait.

On ne l'a jamais vu puiser dans la caisse à dizaine de millions d'euros pour augmenter sa fortune comme n'importe quel Messier ou Zacharias. C'est un honnête homme.

Je ne suis malheureusement pas sûr qu'il ait le choix. Il est là pour sauver les meubles, il faut qu'il le fasse et il saura le faire. L'entreprise reste techniquement un joyau.

C'est des responsabilités que je veux parler ici. Elles sont principalement d'ordre éthique.

Ethique de l'action publique, d'abord.

Voilà deux gouvernements, l'allemand et le français, qui ont en commun de croire au transport aérien, de croire au capitalisme et de croire à l'Europe, du moins ils le disent.

Comment est-il concevable que, pensant en termes de privatisation et sachant très bien que la réussite d'une entreprise dépend d'abord de la qualité et de l'unité de son commandement, ils mettent leurs convictions sous embargo et se chamaillent pour la répartition des postes de deuxième ordre dans la maison au point de créer dans Airbus un système de préséances nationales non compatibles avec l'unité de commandement nécessaire tout le long de la chaîne hiérarchique et pas non plus avec le principe du choix du meilleur pour toute responsabilité opérationnelle ?

A ce niveau, je ne peux pas croire qu'ils ne comprenaient pas la gravité de ce qu'ils faisaient ; mieux vaut affaiblir l'entreprise que d'ouvrir la porte à une dérive dans l'équilibre entre les deux nations dominantes. N'avez-vous pas compris, mesdames, messieurs nos gouvernants, que l'opinion de nos deux pays est bien plus européenne que vous.

Nous, citoyens d'Europe, avons compris et admis que les succès d'Airbus flattent notre prestige d'Européens. Nous avons accepté, à travers la création de l'Europe comme celle d'Airbus, qu'il y ait au-dessus de nos fiertés nationales une fierté européenne, surtout dans une compétition largement mondiale.

En l'affaiblissant au nom d'intérêts nationaux qui ont été déclarés secondaires par rapport à l'intérêt européen qui a présidé à votre élection comme à la mise en place d'Airbus, vous avez commis une très grosse faute. Elle n'est pas d'abord technique.

Vous avez violé une espérance commune. Et cela est de l'ordre de l'éthique. Cette faute vous fait responsables de la suite et de l'issue, notamment devant le personnel concerné.

Et puis il y a une responsabilité gestionnaire.

On peut comprendre que la faute n'ait pas été intentionnelle. Mais on ne peut en aucun cas admettre que les gestionnaires sous l'autorité de qui s'est produit ce désastre s'en aillent en fin de mandat, contents et grassement indemnisés comme si rien ne s'était passé.

Dans sa forme actuelle, le capitalisme ne fonctionne qu'à condition d'aggraver constamment sa pression sur les salariés pour préserver l'attractivité auprès des investisseurs.

Au demeurant, depuis l'annonce des 10 000 suppressions d'emplois, l'action EADS a augmenté de 2 %.

Il est temps que nos responsables économiques et politiques comprennent que l'opinion, c'est-à-dire nos électeurs, n'admet tout simplement plus ces moeurs scandaleuses.

Ségolène Royal a raison de demander un moratoire pour que tout cela soit réexaminé.

Mais même un moratoire, s'il est possible, aura un coût.

Les Etats l'assumeront, du fait de leurs responsabilités.

Mais il serait moral qu'ils se retournent, pour en récupérer une partie, contre les gestionnaires fautifs qui jusqu'ici ne sont en rien associés au prix de leur responsabilité.

Si l'on s'imagine que la libre entreprise pourra continuer de fonctionner dans nos démocraties développées en permettant aux riches de s'enrichir toujours plus sans jamais qu'ils payent le prix de leurs erreurs ou des dysfonctionnements de leur système, et en faisant toujours supporter le prix des ratés de leur gestion aux seuls salariés, on se prépare des lendemains politiques et électoraux redoutables.

Michel ROCARD

Libération: vendredi 2 mars 2007

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Commentaires
N
"zxpliqué"...
N
expliquer comme çà, on comprend mieux!<br /> Michel ROCARD a, semble-t-il, adopté dans cette campagne, l'attitude de l'excellent pédagogue...Dans une société où les citoyens souhaitent être de plus en plus associés aux décisions politiques, c'est un rôle fondamental qui réconcilie politique et économie. Je trouve que Michel ROCARD mais également Dominique Strauss-Kahn sont les deux leader politiques les plus crédibles pour faire la jonction entre la politique et l'économie, ils ont, de plus, une faculté à expliquer clairement des mécanismes relativement compliqués sans jamais discréditer leur auditoire.
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